Le Territoire du Désert. Vaste étendue aride, dont les pixels sablonneux se confondent. La Némésis du Territoire de la Banquise en somme. Ce mélange d'erg et de reg était semblait-il plus immense que ces homologues territoriaux. C'était le cas, en réalité, mais cette monotonie du paysage amplifiait davantage l'immensité du lieu. Il faisait chaud, et les rochers se faisaient rares. Un ciel de plomb inondait les errants de cette contrée de rais ardents. Difficile de se sentir à l'aise dans pareil endroit. Pourtant, à un endroit précis de cette terre menaçante, un havre de tranquillité faisait son apparition. Au centre de la plaine la plus étendue du territoire, un monde hivernal se construisait. Parfaite analogie entre la chaleur et le froid. La canicule se heurtait à une froidure singulière. La voûte se voyait accueillir quelques nues brumeuses. Une danse de pétales nivéennes flottaient dans l'éther brûlant du désert de Lyoko. Elles venaient choir au sol, alimentant un tapis polaire agréable au regard.

Une œillade supplémentaire fit jaillir de cet humus glacial une silhouette familière. Ombre abscons dans un microcosme candide, il s'avérait que l'heimatlos était le créateur. Portant dignement son armure de jais, il s'était installé en tailleur au centre de son œuvre, alimentant les yeux fermés le flux boréal de cette aire de neige. Ainsi donc l'humain faisait neiger dans le désert. Son pouvoir, héritage sibérien, donnait une nouvelle jeunesse à ce territoire craquelée de failles rocailleuses. A côté de lui, son casque d'airain siégeait sur la surface froide et opaline. Sa chevelure à la teinte de sa création albescente s'en voyait embellie. Exercant un parfait contrôle de son pouvoir, avec une application aussi inédite qu'artistique, Kazimir semblait méditer. Il était au passage plutôt chanceux, épargné d'une quelconque invasion de monstres à la solde de XANA. Il n'y avait également personne à ses côtés: le quidam était parvenu à s'introduire dans Lyoko sans devoir être affublé du fardeau que représentait ses collègues de travail. Ainsi était le lien qui l'unissait à ses camarades: il ne voyait en eux que de simples équipiers, rien de plus.

En aucun cas troublé, Kazimir poursuivit son œuvre. A force de générer du froid, il avait vaincu la fournaise gouvernant les lieux, du moins partiellement. Le pseudo-tsar, dans sa composition de givre, se nimbait d'un frimas doux et agréable. Opaque, il avait la texture du coton, du moins, de façon visuelle. En dehors de cette sphère hivernale, il était difficile d'identifier clairement la silhouette du gazier. On ne discernait qu'une simple forme noirâtre, au cœur d'un léger blizzard d'un albe mystique. La lucidité de Volkov en vint à douter de l'équilibre de ce globe de froidure: quand est-ce qu'une nouvelle présence viendrait perturber le flux de neige et de fraîcheur que commandait Kazimir ?

Dans le domaine arctique du guerrier, la tranquillité reprenait ses droits sur la sauvagerie de la chaleur. Kazimir rétablissait son propre ordre, fondé sur un équilibre plus important entre le froid et le chaud. Dans cet hémisphère lactescente, il se sentait envahi d'un sentiment inédit. Mélange confus de réussite et d’exaltation pour sa création. La température était si basse, qu'à présent c'était l'hiver en plein désert. Jérémy, interdit devant cette chose, fut incapable de réagir oralement sur Lyoko: la bise agressive brouillait les transmissions dans l’œil du cyclone sphérique. Le frottement des flocons, agités dans la tempête générée par l'humain, provoquait un bruit assourdissant. Pourtant, le créateur restait imperturbable: depuis tout à l'heure, il n'avait pas bougé un cil. Il était immobile, non pas à cause d'un éventuel gel, mais bien par concentration. Réaliser un tel exploit à son niveau aussi médiocre lui demandait de condenser ses pensées, et de les rediriger dans un seul sens, celui de la réalisation de cette neige.

Néanmoins, une once de doute obscurcit les méandres du Lyoko-guerrier. Dans son blizzard, il se demandait quand est-ce qu'un intrus oserait se pointer devant son œuvre. L'Opalescent savait que tôt ou tard, XANA ou un autre ennemi plus vicieux encore enverrait ses sbires inspecter l'ouvrage de banquise volatile. S'il s'agissait d'un monstre, aucun soucis: Kazimir réprimerait automatiquement l'invasion de ce gêneur nuisant à la splendeur de sa fondation. En revanche, s'il s'agissait d'un guerrier programmé ou non pour l'inspection des lieux, l'affaire serait autre. Ce fut ce cas de figure qui ne tarda pas à exploser en plein vol. Tout comme ce matras méphitique, projetée par une menace humanoïde. La déflagration, d'une teinte occulte, singeant la verdure des sylves porta atteinte à la sérénité du Volkov. Le souffle de la détonation en vint à affecter le courant hiémal. Le calme olympien du Russe fut affecté à son tour; ce dernier ne tarda pas à ouvrir rapidement les yeux. L'artificiel aquilon s'apaisa et remua brusquement avant de se dissiper. Une dense brume livide se conserva tout de même dans les ruines de la zone de l'hydrométéore. On avait du mal à voir Kazimir, pour ne pas dire qu'il était quasi-impossible de le voir à présent. Portant ses pas avec pesanteur, le quidam fut entouré d'un halo de frimas qui le suivit jusqu'à la totale disparition de sa création.

Il considéra l'intrus, ou plutôt, l'intruse. Une mégère sensiblement homologue à cette funambule séraphine répondant au sobriquet de Kal. La chevelure était pratiquement identique, bien que l’émeraude se voulait plus phosphorescente. Son apparence était également plus extravagante: un casque de musique, ainsi qu'une égide buccale, offrant une éventuelle protection contre les fumerolles douteuses du lieu, ornaient son faciès. La donzelle était férocement armée: elle avait entre ses dextres un arc. La flèche siégeant sur le centre de l'arme n'attendait plus qu'un mouvement de phalange pour être projetée à vive allure sur le nuisible que pouvait représenter Kazimir. Peu intimidé par de pareilles menaces, le quidam se prépara à achever son acte. Il était venu ici pour une raison bien précise. La chercher, Elle.

L'émissaire de Borée avança vers la donzelle, son armure claquant contre son corps gelé avec rythme. Accordée à sa marche, son plastron lui donnait des airs de divinité. Il en avait d'ailleurs la prestance, ainsi que le regard, hautain et altier à la fois. Histoire de lancer sa manœuvre véritable, il entama la conversation. Son pouvoir régissait encore l'azur, si bien que dans ce désert ardent subsistait une parcelle de fraîcheur intense. Les êtres présents dans cette arène de froidure expiraient un souffle glacé, une minuscule brume virginale.

❖ Je savais que tôt ou tard, tu viendrais. Ou du moins, que quelqu'un comme toi viendrait troubler ma création.

Sa voix était étrange. Elle était plus portante, sans pour autant être amplifié par l'écho. Au contraire, elle était plus rude, tout en étant agréable dans le vacuum de cet erg corrompu par l'élément algide.

❖ Ta réaction, bien que prévisible, est plutôt sauvage, tu ne trouves pas ? Et si jamais tu faisais face à un danger que tu ne pouvais maîtriser ? Ne t'inquiète pas, je ne suis rien de cela.

Le paladin parut aimable, bien que parfois trop mielleux en apparence. Au même moment, son plan se mit en marche. Son pouvoir, réveillé depuis sa profonde méditation en quête du satori, avait été déployé sur l'inconnue. Kazimir avait mis à jour la nature de cette gonzelle: bien que son approche fut barbare, elle ne portait pas sur elle les stigmates de la soumission à l'entité XANA. Par conséquent, elle ne pouvait qu'être une fanatique de Neo-XANA. Jérémy, après le retour de Kazimir sur Terre suite à sa discussion avec Kal, en avait touché quelques mots au russe. Il était à présent fixé. Fixé… comme cette main, cet arc, et cette flèche, figé dans le temps par le don du Lyoko-combattant.

❖ N'essaie pas de débattre, c'est inutile. J'ai gelé ta main, ainsi que ta flèche. Si tu t'obstines, j'amplifierai le froid, jusqu'à ce que les gelures virtuelles te fassent comprendre qui domine la situation.

Orgueilleux, vaniteux, l'humain tentait d'écraser son interlocutrice. La féale pouvait voir devant elle un personnage étrange, dont la neige se dissipait autour de lui avec une magie mystique propre à sa cryokinésie. Quelques pas supplémentaires de la part du célicole, et voici que ce dernier braqua sa bertha numérique sur sa proie.

❖ Décline ton identité. C'est tout ce que je te demande, je ne te veux pas de mal. Si tu refuses de coopérer, je te renverrais sur le monde réel, avec le sentiment douloureux de ne pas revenir sur ces terres. Pour ta part, histoire d'avoir plus d'égalité sur la situation, tu auras droit de connaître mon cryptonyme… морок, dit-il, dévoilant le nom de la divinité russe du froid avec son plus bel accent sibérien.

Il n'y avait pas à dire, le froid ne réussissait pas à Kazimir. Si tôt enfermé dans les dogmes de sa faculté belliqueuse, sa psyché se voyait obscurcie, introduisant un caractère nouveau dans son comportement.

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